Savez-vous quel orchestre symphonique canadien a été le premier à se produire sur la scène du célèbre Carnegie Hall de New York? Un orchestre entièrement constitué de femmes, dirigé par une femme! C’était en 1947, à l’époque où les femmes n’étaient pas les bienvenues dans les orchestres, encore moins sur le podium.
Un univers strictement masculin
En 1940, au moment de la création de la Symphonie féminine de Montréal (Montreal Women’s Symphony Orchestra) par la mécène, musicienne et mélomane Madge Bowen et la cheffe d’orchestre et violoniste Ethel Stark, plusieurs instruments étaient peu recommandés pour les femmes tels que le violoncelle, les cuivres et la plupart des instruments à vent. La raison? Il était vulgaire pour une femme de s’écarter les jambes pour accueillir le géant de bois ou de se déformer le visage en soufflant dans une clarinette ou un cor. Difficile à croire, mais malheureusement vrai…
Même si les jeunes femmes étaient nombreuses à bénéficier d’une formation musicale rigoureuse au cours de leur enfance et de leur adolescence, elles étaient absentes des orchestres professionnels. Le rôle d’une femme était de se consacrer à son foyer et à ses enfants pendant que son mari œuvrait à titre de pourvoyeur. Ces règles sociales ont brisé les rêves de carrière de trop de musiciennes. Une montréalaise, violoniste prodige et brillante cheffe d’orchestre a décidé qu’il en serait autrement pour elle et ses contemporaines: après avoir buché dur pour faire sa place dans un monde d’hommes, Ethel Stark a décidé de mettre sur pied son propre orchestre symphonique complet composé uniquement de femmes pour prouver que celles-ci étaient aussi talentueuses que les hommes dans le domaine, sinon meilleures. Et ce fut un défi relevé avec brio!
La revanche des musiciennes
Comme elle n’arrivait pas à trouver suffisamment de musiciennes possédant une formation musicale, Ethel Stark décida d’ouvrir l’orchestre à toutes les femmes qui désiraient y jouer, musiciennes ou non. Elle leur attitra un instrument et les forma avec l’aide de professeures privées. Répétant dans des conditions désastreuses, sans recevoir de cachet, ces femmes réussirent à présenter leur premier concert sept mois seulement après leur regroupement. Sept mois! Pour un orchestre constitué d’une majorité de femmes débutantes, c’est tout un exploit. Leur première prestation publique eut lieu au chalet du Mont-Royal et une foule nombreuse assista à l’événement historique. La critique fut enthousiaste, la qualité étant au rendez-vous. Sept ans plus tard, la SFM était invitée à se produire devant une salle comble de curieux au prestigieux Carnegie Hall de New York. Encore une fois, ce fut un succès!
Mission accomplie
La SFM est probablement le seul orchestre pour qui la fin des activités fut signe de réussite; Grâce à la persévérance d’Ethel Stark, à ses musiciennes entêtées et à leurs supporters, les femmes ont tranquillement réussit à rejoindre les rangs des plus grands orchestre du monde. La SFM n’avait donc plus sa raison d’être. Les musiciennes d’aujourd’hui doivent une fière chandelle à ces pionnières.
Au nom de ma génération, je leur dit merci!
Une histoire à découvrir
Lors de mes recherches pour rédiger mon article sur la musique classique au Québec pour le magazine Nostalgie, c’est l’histoire de la SFM qui m’a le plus touché. Moi qui ai étudié longtemps la musique et son histoire, montréalaise d’adoption de surcroît, j’ignorais tout de l’existence et des combats de la Symphonie féminine de Montréal. Quelle honte, ai-je pensé… Puis, je me suis pardonnée cette ignorance: après tout, aucun professeur ne m’a jamais parlé de cette extraordinaire page de notre histoire collective. Je vous invite donc à consulter les sources qui suivent afin de vous imprégner de cette aventure fascinante qui a changé le cours de l’histoire des femmes et de la musique classique.
Vidéos, expositions, lectures
Dans l’extrait vidéo suivant, vous pouvez entendre les voix d’anciennes musiciennes de la SFM qui ont raconté leur expérience au sein de cette formation musicale unique.
- Lasciare Suonare est une œuvre de l’artiste Kara Blake qui a été diffusée dans l’espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des arts de Montréal en 2019. Ce collage combinant du matériel d’archives et des créations audiovisuelles raconte l’histoire méconnue et fascinante de la Symphonie féminine de Montréal, fondée en 1940 par Madge Bowen et la cheffe d’orchestre montréalaise Ethel Stark. https://philtrefilms.com/films/lasciare-suonare/
- Apprenez-en plus sur la Symphonie féminine de Montréal, sa fondatrice et ses membres dans mon article publié dans le magazine Nostalgie.
- Le livre Partition pour femmes et orchestre de Maria Noriega Rachwal est disponible en français (Éditions du remue-ménage), ainsi qu’en anglais sous le titre From Kitchen to Carnegie Hall (Second Story Press).
*Crédit photographie de l’en-tête: Fonds La Presse, 1927-1948, BAnQ Vieux-Montréal.